Eros métamorphoses ou le sujet du désir

Cette série travaille sous le prisme de trois « classiques » de la représentation : l’éros, le nu féminin et l’autoportrait. D’Eros, elle explore des métamorphoses, de la puissance d’Eros triomphant à la fragilité du corps dénudé, du quotidien à l’onirique.
Et ce à travers le choix du « nu féminin » indissociable d’une tradition de la représentation, qui marque nos imaginaires de postures et de manières auxquelles les photographies font allusion, soit  directement quasi à la manière d’une citation, soit plus indirectement, dans l’implicite. Ramenant à la mémoire peintures, sculptures, sanguines, poses et matières surgissant aux mouvements et aux attitudes du corps personnel et intime. Se questionne à la fois une histoire de la représentation et le réel de la nudité, telle que l’art en a saisi les variations soulevant la question du nu dans sa dualité quand c’est à la fois une vérité du corps, que tente de saisir le regard et une histoire du regard sur le corps qui s’expose en même temps, indissociablement. Ces « filtres du regard » sont constitutifs d’une « réalité » dont la photographie est censée être garante, mais à laquelle, comme les autres médiums, elle n’a accès qu’à travers une histoire collective du regard (une culture) et une subjectivité. Cette réflexion, ce retour sur l’histoire du regard traverse tout mon travail, où la subjectivité de la démarche tente de se frayer une voie qui lui soit propre.
Il m’importait aussi de travailler le regard sur le corps et le nu féminin qui, dans la quasi totalité de l’histoire de la représentation est objet du regard et objet du désir. J’ai voulu renverser ce point de vue pour en faire le sujet de l’éros et éliminer tout objet du désir pour échapper au regard objectivant, désirant ou contemplatif, pour mettre en scène le sujet du désir. De là le choix de l’autoportrait. C’est croiser un troisième volet des classiques de la représentation, l’autoportrait, qui ne se travaille qu’exceptionnellement dans la nudité, se resserre la plupart du temps sur le visage. Ce choix est manière d’affirmer que nous sommes avant tout un corps et au monde à travers lui. C’est aussi évidence avec le thème d’Eros. Eros n’est que de nos corps. Du corps. Dans sa puissance et sa fragilité aussi indissociables qu’Eros de Thanatos. Eros triomphant, éros émouvant, éros intime ou pris dans les méandres de l’imaginaire qui le traverse.
Photographier mon propre corps, lui-même pris à la fois dans l’imaginaire collectif et personnel était un pari risqué, mais aussi une expérience artistique, neuve pour moi et peu répandue dans l’histoire de la représentation, même s’il existe aujourd’hui un travail de plusieurs photographes sur leur propre corps. Sans doute mon expérience de comédienne et de metteur en scène a-t-elle influé sur cette démarche, dans une dissociation où le « je » qui se donne à voir sur scène ou dans le cadre, ne se confond pas avec le moi, tout en demeurant le sujet de l’action, double sujet des mouvements et postures du corps comme du travail photographique. Il y a là une analogie avec posture d’actrice et de metteur en scène, dont le théâtre m’a donné l’expérience même si c’est autre art et autre enjeu. Je dois ajouter que le thème d’Eros entraîne l’autoportrait vers autre chose que la confrontation à soi et l’outrepasse. C’est Eros qui est le maître du jeu entre mémoire de la représentation du corps et interrogation de ce dernier dans son réel comme dans son imaginaire.
Cette exploration du réel et de l’imaginaire, de celui de la représentation comme du mien à leurs croisements, prend place dans la logique de mon travail photographique, qui cherche toujours à décaler ce qu’on nomme « réalité » pour en révéler à la fois la nature culturelle et l’inépuisable nouveauté.

Photographies. Surimpression. Papier japonais Awagami, Kozo blanc. Jet d’encre pigmentaire. Contre-collé sur dibond.
(2017)