Attente, l’arrêt de bus

Cette série que je nomme « Attente, L’arrêt de bus » pourrait avoir pour titre « Nous tous tant que nous sommes » comme le dit la poète Claude Ber.
Quoi de plus banal qu’attendre un bus. Que ce soit occasionnel ou tous les jours au même endroit. Entre deux lieux, on attend assis ou debout, remplissant ce temps de pause comme on peut, dans une attente qui semble refléter toutes celles de nos vies. Ces scènes quotidiennes auxquelles on ne prête pas attention, m’interpellent parce qu’elles en disent beaucoup de nous. Elles ouvrent à d’autres perceptions, à d’autres émotions.
C’est la vitre cathédrale d’un arrêt de bus qui a déclenchée cette série, prenant place dans mon interrogation photographique de la ville. Cette légère déformation créée par la vitre, ce rendu flou, cette irrégularité m’invitaient à pénétrer dans un espace familier non littéral, une humanité juste aperçue entre abstraction et figuration.
Je me suis donc mise à photographier à différentes heures ce bref moment où vacants et à eux-mêmes, solitaires, ces passants, à l’abri du auvent, livraient un peu d’eux-mêmes et transformés par la vitre et les lumières, comme déplacés dans un ailleurs, devenaient des figures de nous-mêmes.
D’eux, je ne saurai rien, ni de leur visage, ni d’où ils viennent ni où ils vont et chacun occupe à sa façon ce temps de pause entre un ici et un ailleurs. Ils sont à eux-mêmes, seuls à plusieurs, dans une forme d’abandon entre deux mondes. Je n’en devine que des contours, des ébauches, des silhouettes traversées par la lumière, dans un ailleurs. Ils me tendent des fragments d’histoires, des trainées de vies, comme murmurées. Présence humaine à la fois proche, intime et distancée, qui fait partie de notre expérience citadine quotidienne et dit quelque chose de nous et de notre époque.
Séparés par la fine membrane de la vitre, ils sont comme « mis-en-scène » racontant quelque chose du mystère de notre humanité commune. Entre présence et absence.

Photographie, prise directe. Papier satiné lambda contre-collé sur dibond et encadré.
(2013)